71-year-old French pianist Mikhail Rudy has just released an album with Le Palais des Dégustateurs, which includes a number of solo works as well as recordings of two concertos, the one by Grieg and Prokofiev's 2nd. Remy Franck spoke with him about these recordings and his new novel, Le Disciple. (Version française voir ci-dessous)

Mikhail Rudy

Maître, you’ve appeared on television, performed in the theater, given dance recitals, made films and written several books, including the recent novel Le Disciple, published by Presses de la Cité. Where does this desire to push back the boundaries of your artistic activity come from?
Ever since I was a child, I’ve been drawn to the world of creation in all its forms. I grew up in the Ukrainian provincial town of Donetsk, where it was difficult to access works of art, and I had to work very hard to get them. In return, I had the freedom to choose according to my own intuition. When I arrived in Moscow at the age of 16, things were much more regulated. I was surprised to find that my fellow students had been trained to be interested only in piano and classical music. I was very lucky not to be formatted.

Do you think that a relationship between multimedia and classical music has a future in the concert hall?
I absolutely do, for better or worse. We live in a visual age, and that’s not going to stop.

Mikhail Rudy et le patron du label Le Palais des Dégustateurs, Eric Rouyer

In your new book, you mix reality and fiction, ‘teaching’ general history and music history. Is this a desire to share your knowledge in a more playful way?
For me, it’s all about the pleasure of writing, which gives me moments of playfulness and even jubilation. And all the better if the pleasure is shared with the reader!

Have you ever come across a brilliant pianist like François in the novel who ultimately refused to pursue a career? Are such cases more common than one might think?
There are many ways to become a musician and a pianist. I’m always fascinated by those who think outside the box. I’m thinking of Glenn Gould, for example, but also of some lesser-known names. They often have an ambiguous relationship to career and composition and, for some, a dramatic fate.

In n your novel you talk about Russia at the time of Perestroika. The lull in repression was short-lived. Why can’t the Russian people liberate themselves?  How do you see Russia under Putin?
It’s hard to know why the Russian people lost their freedom. I don’t have all the keys. There was great hope in the West at the time, but that hope was dashed. Greed ruled in Russia, but also in Western countries. Foreign politicians were very suspicious and did not support the emerging Russia. And then there was the question of men. Yeltsin didn’t know how to lead the country. And Putin has learned the lessons of history and the KGB.

When you left Russia after a very difficult youth, you chose France as your new home. Why did you do that?
France and Russia have had a special cultural affinity for many centuries. In a way, when I arrived in Paris, I had the feeling that I was reconnecting with pre-revolutionary Russia. Especially in the homes of certain white Russians. But beyond that, I fully embrace French values and the importance of artistic life in France.

Throughout your career, you’ve rubbed shoulders with some of the biggest names in music. Looking back, what are your most important memories?
I was very lucky to be close to some giants like Rostropovich, Maazel, Rubinstein and so many others. As soon as I arrived in the West, Slava Rostropovich took me under his wing and invited me to the anniversary concert for Marc Chagall’s 90th birthday with Isaac Stern and himself. I’ll never forget the conductor, the immense Paul Paray, with whom I was able to play several times afterwards, despite his 94th birthday.

In 1989 you returned to St. Petersburg for concerts with Mariss Jansons. The recordings on the Taster’s Palace album are from these concerts. What memories do you have of them?
I met Mariss Jansons in St. Petersburg in the early 90s. He was the orchestra’s principal guest conductor at the time and also conducted the Oslo Orchestra. He came to hear me play Schubert’s Wanderer Fantasy, which he loved, and we began a professional relationship and friendship that lasted until the end of his life.
From then on we began a very important artistic collaboration, recording all the Rachmaninov and Tchaikovsky concertos for EMI, followed by the Shostakovich concertos with the Berlin Philharmonic and the London Philharmonic. Over the years, he has invited me to play a wide variety of repertoire with him in St. Petersburg. The recordings released today reflect that period. I’m delighted to be able to release these recordings, which for me are above all a tribute to the extraordinary man and musician that Mariss Jansons was. I’m very grateful to Eric Rouyer for giving me this opportunity.

Unveröffentlichtes von Mikhail Rudy

 

Mikhail Rudy: J’ai eu beaucoup de chance de ne pas être formaté.

Le pianiste française Mikhail Rudy vient de sortir chez Le Palais des Dégustateurs un album avec, au-delà de quelques œuvres solo,  des enregistrements de deux concertos, celui de Grieg et le 2e de Prokofiev. Rémy Franck a parlé avec lui de ces enregistrements et du roman qu’il vient de publier également, Le Disciple.

Maître, vous avez fait des émissions de télévision, participé à des spectacles de théâtre, donné des récitals dansés, vous avez fait des films et écrit plusieurs livres, dont le récent roman, Le Disciple, aux Presses de la Cité. D’où vient ce désir de pousser toujours plus loin les frontières de votre activité artistique ?
Depuis mon enfance, j’ai été attiré par le monde de la création sous toutes ses formes. J’ai grandi dans une ville provinciale ukrainienne Donetsk dans laquelle il était difficile d’avoir accès aux œuvres d’art, je faisais beaucoup d’effort pour les obtenir. En contrepartie, j’avais la liberté de choisir selon ma seule intuition. Quand je suis arrivé à 16 ans à Moscou, les choses étaient beaucoup plus encadrées. J’ai eu la surprise de voir que mes camarades avaient été formés pour ne s’intéresser qu’au piano et à la musique classique. J’ai eu beaucoup de chance de ne pas être formaté.

Croyez-vous qu’une relation entre le multimédia et la musique classique aura un avenir dans les salles de concert ?
Je le crois complétement, pour le meilleur et pour le pire. Nous vivons une époque visuelle, et cela ne va pas s’arrêter.

Dans votre nouveau livre vous mêlez réalité et fiction, vous ‘enseignez’ l’histoire générale et l’histoire musicale. Dois-je voir là un désir de partager votre savoir d’une façon plus ludique ?
Il s’agit avant tout pour moi du plaisir de l’écriture qui m’offre des moments ludiques voire jubilatoires. Et tant mieux si le plaisir est partagé avec le lecteur !

Mikhail Rudy

Est-ce que vous avez rencontré, dans votre carrière, un pianiste génial comme le François du roman qui, en fin de compte, refusait de faire carrière ? Est-ce- que de tels cas existent plus souvent qu’on ne le croit ?
Il y a bien des façons d’être musicien et pianiste. Je suis toujours fasciné par ceux qui sortent des sentiers battus. Je pense par exemple à Glenn Gould mais aussi à quelques autres beaucoup moins connus. Ils entretiennent souvent une relation ambigüe avec la carrière et la composition et, pour certains, connaissent une destinée dramatique.

Dans votre roman vous parlez de la Russie au temps de la Perestroïka. L’accalmie de l’oppression aura été de courte durée. Pourquoi est-ce que le peuple russe ne parvient-il pas à se libérer?  Quelle est votre image de la Russie sous Poutine?
Il est difficile de savoir pourquoi le peuple russe a reperdu sa liberté. Je n’ai pas toutes les clés. Il y avait à l’époque un immense espoir vis-à-vis de l’Occident qui a été déçu. L’appât du gain a dominé à l’intérieur de la Russie, mais aussi dans les pays occidentaux. Les politiciens étrangers étaient très méfiants et n’ont pas soutenu la Russie naissante. Et puis, cela a été une histoire d’hommes. Ieltsine n’a pas su tenir le pays. Et Poutine a bien retenu les leçons de l’histoire et du KGB.

Lorsque vous avez quitté la Russie après avoir vécu une jeunesse très difficile, vous avez choisi la France comme nouvelle patrie. Pourquoi ?
La France et la Russie ont entretenu depuis plusieurs siècles une affinité culturelle particulière. En quelque sorte, en arrivant à Paris, j’ai eu la sensation de renouer avec la Russie d’avant la Révolution. En particulier, dans les appartements de certains russes blancs. Mais au-delà, j’adhère pleinement aux valeurs françaises et à l’importance de la vie artistique en France.

Au cours de votre carrière vous avez côtoyé les plus grands du monde musical. Quel sont vos souvenirs les plus importants lorsque vous jetez un regard en arrière ?
J’ai eu la chance folle d’être proche de quelques géants, tels que Rostropovitch, Maazel, Rubinstein et tant d’autres. Dès mon arrivée en Occident, Slava Rostropovitch m’a pris sous son aile et m’a invité au concert anniversaire pour les 90 ans de Marc Chagall avec Isaac Stern et lui-même. Je n’oublierai jamais le chef d’orchestre, l’immense Paul Paray, avec lequel j’ai ensuite pu jouer plusieurs fois, malgré ses 94 ans.

En 1989, vous êtes retourné à St. Petersburg pour des concerts avec Mariss Jansons. Les enregistrements de l’album du Palais des Dégustateurs proviennent de ces concerts. Quels souvenirs en avez-vous ?
J’ai rencontré Mariss Jansons à Saint-Pétersbourg au début des années 90. Il était alors premier chef invité de l’orchestre et dirigeait aussi l’orchestre d’Oslo. Il est venu m’entendre en récital dans la Wanderer Fantasie de Schubert qu’il a beaucoup aimé, et nous avons démarré une relation professionnelle et une amitié qui a duré jusqu’à la fin de ses jours.
A partir de ce moment, nous avons entamé une collaboration artistique très importante, en enregistrant pour EMI tous les concerti de Rachmaninov et le premier de Tchaikovsky, puis les concerti de Chostakovitch avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin et l’Orchestre Philharmonique de Londres. Pendant toutes ces années, il m’a invité à jouer avec lui à Saint-Pétersbourg différent répertoire. Les enregistrements qui paraissent aujourd’hui sont le reflet de cette période. Je suis très heureux de pouvoir publier ces enregistrements qui sont pour moi avant tout un hommage à l’homme et au musicien exceptionnel qu’était Mariss Jansons. Je suis très reconnaissant à Eric Rouyer de m’avoir offert cette possibilité.

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